Si j’avais la possibilité de recommencer ma vie, je prendrais l’habitude d’orienter chaque soir mes pensées vers la mort. Je m’exercerais, si l’on veut, à la remémoration de la mort. Aucun exercice ne confère à la vie autant d’intensité.
– Muriel Spark, romancière
Traditionnellement, la mort a été représentée de diverses façons, mais la plupart du temps en termes négatifs. C’est l’adversaire, l’ennemi redoutable et arbitraire qui ne fait pas de quartier. Ce n’est pourtant pas la seule manière de l’envisager. Curieusement, les patients, les chefs spirituels et les prestataires de soins qui travaillent auprès des personnes dont la vie s’achève parlent de la mort comme d’un enseignement, qui nous rappelle qu’en dépit des nombreuses pertes subies à cette étape de la vie, il y a également un certain nombre de leçons à tirer de ce paysage. Le présent article lève le voile sur certains de ces enseignements qui semblent accompagner les pertes inévitables de cette période. En le lisant, vous pourriez tenter de répondre aux questions suivantes :
- En quoi mon expérience ou mon inexpérience des questions entourant la mort façonne-t-elle ce que je vis actuellement?
- Comment mon expérience de la mort de mes patients m’aide-t-elle à me préparer à ma propre mort?
- Si je savais qu’il me reste peu de temps à vivre, qu’est-ce que je voudrais faire de ce temps? Avec qui voudrais-je le passer?
- Qu’est-ce que serait une belle mort, pour moi?
- Qu’est-ce qui me paraît juste et authentique? En quoi ma vie est-elle fidèle à ces convictions, actuellement?
- Quels sont mes regrets? En quoi influent-ils sur ma vie? Comment faire la paix à cet égard?
- Comment mes croyances peuvent-elles être source de réconfort devant la fin imminente de la vie?
- Qu’est-ce qui m’inquiète à l’égard de la mort et des questions qui l’entourent?
- Que puis-je faire, maintenant, pour me préparer à ma propre mort?
- Comment voudrais-je qu’on se souvienne de moi?
Les enseignements de la mort
L’idée de la mort comme source d’enseignements n’est pas nouvelle. Nombre de chefs spirituels et de philosophes en ont traité. Gandhi, par exemple, affirmait que « vivre libre, c’est être prêt à mourir ». Socrate a dit « personne ne sait ce qu’est la mort ni même si elle ne se trouve pas être pour l’homme le plus grand des biens, et pourtant les gens la craignent comme s’ils savaient parfaitement qu’il s’agit du plus grand des malheurs ». Certes, les questions entourant la mort sont sérieuses et tristes, mais ces grands penseurs nous invitent à ne pas en faire un sujet morbide et à y chercher plutôt des perles de sagesse, difficiles à trouver à d’autres moments de la vie. L’idée que la mort nous éclaire sur nous-mêmes et sur la vie trouve écho dans ce que les prestataires de soins qui entourent des patients et des familles à l’approche de la mort constatent depuis longtemps : « nous apprenons toujours beaucoup des patients ». À titre d’intervenant en soins spirituels depuis plus de 14 ans, j’ai eu moi-même le privilège d’être au chevet de patients mourants et de profiter d’un certain nombre de ces leçons de vie. Je puis assurer que ce n’est pas seulement une phrase destinée à réconforter la famille ou à aider les prestataires de soins à composer avec la situation. À l’approche de la mort, les priorités changent du tout au tout. Le travail, les factures à payer, le salaire et la position sociale semblent rarement faire partie du plan de leçon du patient. Le sens de la vie, le temps passé avec la famille, l’authenticité, la fidélité à ses convictions et à ses valeurs, le renoncement, l’acceptation et la gentillesse sont des thèmes récurrents des patients qui réfléchissent à ce qu’a été leur vie. Et même si cette réflexion ne fournit pas nécessairement de réponses aux grandes questions, elle invite à se concentrer sur ce qui compte vraiment.
L’idée de la mort comme source d’enseignements n’est pas non plus particulière aux patients et à leur famille; elle se retrouve chez les professionnels de la santé qui fournissent des soins de fin de vie. D’ailleurs, une étude menée au Canada invitait les prestataires de soins palliatifs à commenter l’effet des questions entourant la mort sur leur vie personnelle et professionnelle1. Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, les réponses ne sont pas généralement négatives, bien au contraire. Conscients que ces questions sont sans doute le plus grand défi de la vie et loin de présenter une vision édulcorée de la mort, les répondants expriment un certain nombre d’enseignements précieux, qui pourraient certainement nous être utiles en pareilles circonstances. Ils estiment, en particulier, que la mort précise le sens de la vie et leur donne la chance d’en appliquer les leçons à leur propre vie de manière prospective, à la différence des patients qui auront acquis cette sagesse avec le recul. Deux autres leçons leur paraissent importantes à l’égard des craintes entourant la mort et des meilleurs moyens de connaître une belle mort. Voyons-les brièvement.
Les craintes entourant la mort
La mort suscite toutes sortes de craintes : celle de ne pas reconnaître les êtres chers, d’éprouver des souffrances incontrôlables, de ne plus être ce que nous avons été. Heureusement, peu d’entre elles se concrétisent. Un jour, un patient mourant m’a dit : « Maintenant que ma vie se termine, je constate que les plus grandes craintes que j’ai eues pendant tout ce temps se sont rarement matérialisées. » La peur semble aller de pair avec l’incertitude; en effet, on a rarement peur de ce que l’on connaît : le monstre qui se cache sous le lit disparaît sitôt la lumière allumée. Les professionnels des soins palliatifs rapportent de même que les craintes des patients à l’égard des questions entourant la mort se vérifient rarement. De toute façon, il existe des interventions et des services de soutien pour en atténuer les effets. Certes, il arrive qu’un patient en fin de vie éprouve de la douleur et que ses symptômes lui causent une certaine détresse, mais heureusement, la grande majorité des patients qui meurent au Canada bénéficient d’excellents services de prise en charge, qui leur assurent un certain bien-être général. Enfin, en plus de cette vision prospective des craintes entourant la mort, les prestataires de soins estiment que le meilleur moyen d’atténuer l’incertitude inhérente aux questions entourant la mort est de s’y trouver exposé. L’expérience du processus de la mort d’amis ou de proches semble nourrir la résilience et nous doter de ressources utiles quand surgissent nos propres questions entourant la mort.
Une belle mort
Les prestataires de soins palliatifs relèvent un certain nombre d’ingrédients essentiels à ce qu’ils considèrent comme une « belle mort » : la perception d’un sens acceptable, de bons services de prise en charge de la douleur et des symptômes et un certain bien-être. Ils estiment essentiel de rester fidèle à soi-même, de participer à sa propre mort au lieu d’en être seulement spectateur et de rester curieux de ce qui nous attend après la mort. Beaucoup ont évoqué aussi l’idée d’être libre de toute « affaire en suspens ». Mieux vaut en effet être en paix avec les proches et régler tout conflit avant les derniers moments. S’en tenir aux idées préconçues sur ce qu’est une belle mort risque de nous faire rater l’objectif. À ce sujet, les prestataires de soins sont d’avis que le fait de rester ouvert à la possibilité que la mort ne se produise pas exactement comme prévu est, ironiquement, un autre élément essentiel à une belle mort.
Conclusion
Pour les questions entourant la mort, nous choisirions plus volontiers une formation à distance que l’expérience personnelle... Malheureusement, s’il y a une certitude absolue dans la vie, c’est bien que nous ferons tous personnellement l’expérience de la mort, la nôtre et celle de nos proches. C’est parfois des plus grandes difficultés que nous tirons les plus précieux enseignements. À travers le regard des patients, de leur famille et des prestataires de soins de fin de vie, nous acquérons des connaissances qui nous aideront à surmonter nos craintes et à entendre les leçons positives qui nous sont données au seuil de la mort. Pour peu que nous écoutions et que nous soyons prêts à apprendre, ces personnes nous rappellent en effet qu’au-delà de la perte et des remises en question, la mort nous enseigne à bien mourir.
Références
1. Sinclair S. (2011). « Impact of death and dying on the personal lives and practices of palliative and hospice care professionals », CMAJ 183(2)180.